
Gagner de nouveaux clients…A tout Prix?

Gagner de nouveaux clients : voici un volet incontournable des plans d’actions commerciaux. Les efforts des forces de vente sont souvent très importants pour bien faire, parfois tellement importants que la question du coût d’acquisition d’un client peut se poser.
Doit-on chercher à conquérir de nouveaux clients à tous prix ?
Question provocatrice mais question quand même car si l’acquisition de nouveaux clients a un coût, il convient donc de poser également la question du retour sur investissement de la prospection.
Le cas des télécoms
Le secteur des télécoms est emblématique à cet égard, car la conquête y a toujours été une véritable obsession. Deux raisons l’expliquent. D’abord, le taux de croissance du marché a été réellement exponentiel. Cela a été le cas pour la téléphonie mobile entre 1995 et 2005. Exprimé en nombre de lignes totales, le marché à doublé en 1997 et également en 1998 (Statistiques de l’ARCERP). Dans ces conditions, on comprend que les commerciaux ont eu à se livrer à une sorte de « ruée vers l’or » pour conserver, voire développer leur part de marché. Enjeu d’autant plus important que les investissements nécessaires en infrastructure sont colossaux, faisant glisser en permanence le seuil de rentabilité.
Ensuite, l’irruption rapide de nouveaux entrants a aiguisé la concurrence, et celle-ci s’est jouée sur des offres comparables, si bien qu’on a rapidement assisté à une banalisation du marché. Résultat : le taux de rotation du portefeuille client (le « churn ») s’est mis à dériver, jusqu’à atteindre chez certains des valeurs avoisinant 20 %. … Et pour compenser la perte continue de clients, la course effrénée à la conquête continue avec des coûts d’acquisition qui varient de 1 à 10 selon les opérateurs (source : Libération, 2006).
La web économie
D’après l’IAB (Internet Advertising Bureau, 2001), le coût d’acquisition d’un nouveau client par un site marchand pouvait varier entre 50 % et 300% du montant de la première commande ! Certes, cette évaluation date de 2001, et elle concerne la « nouvelle économie », secteur dont on sait qu’il a pu être l’objet de toutes les spéculations jusqu’au « krach » boursier …
Trois questions pour les managers commerciaux en « B to B »
L’augmentation des coûts d’acquisition des clients n’est pas spécifique aux télécoms ou à la nouvelle économie…En fait, à peu près tous les secteurs « B to B » avec lesquels travaillent les consultants d’Halifax ont une réelle problématique autour du coût d’acquisition de nouveaux clients. Prenons l’exemple de la Banque. Le « turnover » des clients y est justement plus important que par le passé. BNP Paribas annonçaient en 2005 avoir acquis 128 000 nouveaux clients (sur un total de 5 millions), et se disait préoccupé par un taux de défection compris entre 8% et 10% de ces nouveaux comptes (source les Echos, octobre 2005). Cette problématique n’est pas exclusivement l’affaire des départements marketing et communication, elle est intéresse aussi les commerciaux ; le temps passé par la force de vente en prospection représente nécessairement un coût.
Quel est le coût acceptable ?
Cette question est majeure. Dans le secteur bancaire, par exemple, rares sont les Chargés de Clientèle qui n’ont pas des objectifs chiffrés « d’entrée en relation » (ouverture d’un compte), qu’ils opèrent sur le marché des particuliers, des professionnels, des entreprises ou encore des clients fortunés. Or, il est rare que des objectifs de coût d’acquisition soient fixés. Supposons par exemple que le PNB (produit net bancaire, équivalent de la valeur ajoutée) moyen d’une grosse PME client soit de 3000 euros par an… est-il raisonnable que le commercial y consacre 2, 3, 4 visites, ou d’avantage …sachant que par ailleurs la Banque a engagé des frais de communication importants sur ce secteur de marché ?
En fait, beaucoup d’entreprises agissent « comme si » tout nouveau client était désirable, quels que soient les efforts déployés pour le conquérir. C’est ce que nous pourrions appeler « la malédiction du conquérant ». Un peu à l’image des conquistadors à la recherche de l’Eldorado, les entreprises qui prospectent partent du principe optimiste que les bénéfices futurs d’une relation excéderont les efforts déployés pour les produire. Est-ce vraiment toujours le cas?
Comment mesurer ?
Le problème de la mesure est très souvent que l’on ne mesure que ce que l’on peut mesurer facilement ! Henry Mintzberg disait de l’efficience qu’elle est un « bien vilain mot ». On a en effet tendance à s’en tenir aux coûts visibles et globaux, émanant de la comptabilité. Par exemple, en calculant le ratio coûts de communication / nombre d’abonnés. Et ceci pose deux questions :
- La première est celle des moyennes. Si conquérir un nouveau client coûte « en moyenne » 500 euros, c’est en considérant d’une part, les couts commerciaux et d’autre part, le nombre de nouveaux clients. En revanche, l’écart-type que nous constatons chez nos clients est important. Demandez à un commercial combien de temps il consacre à la conquête d’un nouveau compte, et il vous répondra invariablement « cela dépend ! ».
- La deuxième question est celle du choix de bons indicateurs, ou « inducteurs de coût ». C’est facile pour les entreprises qui ont formalisé (et parfois standardisé) un processus commercial ; on sait alors combien coûte une prise de RDV, une visite, ou une proposition commerciale. Pour beaucoup d’autres entreprises, la tâche est plus ardue. Le piège est d’éviter par exemple de se fier à un « coût d’une proposition commerciale » standard ; mieux vaut – si le jeu en vaut la chandelle – demander aux commerciaux quel est le temps passé sur chaque proposition, afin d’avoir un reporting fin. Chez l’un de nos clients, un ingénieur d’affaires nous a avoué avoir passé 5 jours sur la rédaction d’une réponse à un appel d’offres, émanant d’un client qu’il n’avait jamais rencontré ! Or on sait que les chances de succès sont extrêmement faibles quand on est dans cette configuration (Keith Eades les estiment à 5%).
Comment piloter ?
Cette question s’adresse clairement aux managers commerciaux ; faut-il mettre en place un tableau de bord spécifique ? Doit-il être partagé avec les commerciaux ? Et si oui, comment les animer sur ce thème ?
Nous le savons tous, le sujet de la maîtrise des coûts n’est pas celui qui passionne le plus les vendeurs. Il aura toujours un parfum de contrôle. Notre credo sur le sujet des tableaux de bord est qu’il faut s’efforcer d’appliquer la formule du succès « Pourquoi X Combien x Comment » (cf « les tableaux de bord de la fonction commerciale »).
Le plus important ici est sans doute le « Pourquoi » : il s’agit d’abord de convaincre les commerciaux de la pertinence de cet indicateur pour mesurer la performance de l’action commerciale collective et individuelle. Autrement dit : la performance s’évalue certes sur les éléments objectifs de la valeur créée par le compte : la marge, le Chiffre d’Affaires, ou les conditions de règlement négociées, mais elle doit aussi prendre en compte les ressources commerciales mobilisées pour les obtenir. Il est fréquent que les nouveaux clients soient tellement « choyés » par le commercial qu’ils finissent par mobiliser tout son temps …au détriment des clients existant !
Ensuite viennent le « Comment » et le « Combien ». Il s’agit d’organisation de l’action et de gestion des priorités, en même temps que d’indicateurs simples permettant de jouer le rôle de « garde-fou » et d’aider les vendeurs à « dépenser » leur temps efficacement.
Évidemment, plusieurs profils de commerciaux existent, avec les deux archétypes bien connus que sont d’un côté le « berger » (qui fidélise), et de l’autre, le « chasseur » (qui prospecte). Certaines entreprises spécialisent leurs commerciaux sur l’un ou l’autre des profils, avec des bergers purs et des chasseurs purs, mais cela reste assez rare. Dans la réalité, la plupart des commerciaux doivent savoir faire les deux, c’est à dire allouer leur temps à la fois à la chasse et à la fidélisation. Il appartient au manager d’aider chacun à gérer son temps entre les deux activités, en fonction de leur capacité. Ceci peut être assez directif : « tous les mardis après-midi, prospection téléphonique, avec un minimum de 30 appels et 5 RDV chacun ! » ou plus participatif : tournées de prospection accompagnée, constitution de binômes, ou entretiens individuels réguliers. L’important est de maîtriser l’utilisation du temps qui est faite par chacun, afin qu’il soit affecté selon des « bonnes pratiques » à définir clairement (c’est le comment), et avec un dispositif de mesure permettant de contrôler régulièrement les progrès accomplis par l’équipe (le combien).
En résumé voici nos suggestions :
- Faire figurer sur le tableau de bord du manager un indicateur du coût d’acquisition client, par exemple : nombre de visites, temps passé sur un dossier ou une proposition.
- Communiquer régulièrement l’intérêt de cet indicateur avec son équipe.
- Demander aux commerciaux, dans la mesure du possible, d’intégrer cet indicateur à leur propre reporting (par exemple : temps passé sur une proposition commerciale)
- Calculer un ordre de grandeur de coût d’acquisition à ne pas dépasser. Celui-ci pourra jouer le rôle de « clignotant », pour envisager des actions correctrices quand il y a dérive collective ou individuelle.
- Se focaliser autant sur les chiffres (montant des coûts d’acquisition par client ou par vendeur) que sur les pistes à suivre pour aider les commerciaux à renforcer leur productivité commerciale qui correspond ici à l’efficacité de leurs actions de prospection.
Coût et valeur du nouveau client
Pour finir, resituons le débat dans le contexte de la valeur. Car le coût d’acquisition n’est qu’une dimension d’un objectif plus large, celui de créer de la valeur avec un nouveau client. Les défenseurs (ils sont nombreux) de la conquête de clients à tout prix nous objecterons sans doute que certains clients valent la peine qu’on investisse beaucoup pour les conquérir, étant donné leur future contribution à la marge de l’entreprise.
Ceci est absolument exact, mais attention, encore faut-il être extrêmement vigilant : évaluer correctement le potentiel futur d’un client est délicat. N’avons-nous pas intérêt, en tant que commerciaux, à le surestimer pour justifier les efforts importants que nous avons déployés pour sa conquête?
Et pour ceux qui hésitent encore, pourquoi ne pas organiser la confrontation systématique des prévisions de marge au moment de la signature d’un nouveau contrat avec la réalité des chiffres constatés un an après. Voici un exercice judicieux pour nous apprendre à être plus exigeants avec nous-mêmes sur la qualité des chiffres et de leur analyse ! Au moins autant exigeants que le sont la majorités des acheteurs quand il s’agit de rentabilité…
Allez, Bon business à tous!
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