Diriger ses équipes commerciales en période de crise

frédéric vendeuvre Publié par Frédéric Vendeuvre

J’ai démarré ma carrière professionnelle, jeune diplômé, par un job de commercial terrain chez Xerox au printemps 1990. A peine « débarqué » en entreprise, la guerre du Golfe, un conflit qui oppose, du 2 août 1990 au 28 février 1991, l’Irak à une coalition de 35 États, dirigée par les Etats-Unis, éclate. Nous vivions pour la première fois la guerre à la télévision avec CNN, « Opération Bouclier du Désert », « Opération Tempête du désert » qui passait en boucle sur les écrans. Cela nous fascinait ou nous tétanisait, c’est selon. Ça se finira par la crise du système monétaire européen de 1992 et la grave récession économique de 1993 (à peine dépassée par la dernière de 2009). Ce fut une période très compliquée et longue.

J’ai une pensée pour les jeunes générations qui arrivent aujourd’hui sur le marché du travail, dans un contexte tout autant angoissant, notre président n’a-t-il pas parlé de guerre d’ailleurs ? Cette situation de Covid-19 crée un sentiment de peur et d’appréhension que j’ai ressenti à l’époque. La peur est mauvaise conseillère, en particulier dans le management des ventes et heureusement à cette époque j’ai été bien managé. J’ai appris qu’il ne s’agit pas de faire plus, mais de faire les choses différemment. Ce qui fonctionne en période économique favorable n’est pas perpétuable en temps de crise.

Comme environ 1/3 des commerciaux n’ont jamais eu à vendre en période de crise économique aiguë, beaucoup d’entreprises ne peuvent s’appuyer sur l’expérience de leur équipe de vente.  Voici donc pour partager quelques conseils que j’ai toujours cherché à appliquer dans les moments difficiles.

 Ne pas essayer de compenser par de la suractivité

Lorsque les dirigeants ont peur, ils peuvent facilement être tentés de mettre la pression sur l’activité. C’est le côté mécanique de la vente qui peut rassurer a priori, plus d’appels ou de contacts c’est plus d’opportunités qui feront plus de ventes. Bien sûr, dans certains contextes cela peut marcher, avec un produit simple et un cycle de vente court notamment. Mais si vous avez une offre plus sophistiquée qui doit être vendue comme solution ou en utilisant une approche conseil, l’augmentation des appels ou contacts sortants peut se retourner contre vous.

On a observé ces dernières semaines ces phénomènes dans différents marchés.  Dans certains secteurs les clients étaient injoignables, trop occupés par la crise sanitaire.  Des cibles injoignables qui ont pourtant coûté beaucoup de ressources à ceux qui cherchaient à les joindre. Dans d’autres à l’abri des aléas et forts d’un cash suffisant, certains clients trop contents d’être sollicités ont couru à la pêche aux bonnes affaires. Alors que les vendeurs cherchaient à conclure tous les deals qu’ils pouvaient, le volume moyen en marge a diminué et la taille des commandes a baissé. 

Au lieu d’encourager l’augmentation d’activité tout azimut, orientez rigoureusement votre stratégie commerciale vers vos cibles client privilégiées. La segmentation des clients devient une nouvelle urgence : comment s’adresser en priorité à ceux qui sont disponibles, qui sont sensibles à la valeur de vos offres et n’ont pas de coupe sombre dans leurs budgets ?

Canalisez tous vos efforts vers un nombre limité d’opportunités remarquables est plus payant que partir dans tous les sens. Un mauvais prospect en temps normal ne fait jamais un bon client, un mauvais prospect en temps de crise est une calamité. Perte de temps, perte de marge, perte de motivation sont au rendez-vous.  Malheureusement sous la pression, les commerciaux et leurs managers peuvent être réticents à laisser de côté une opportunité de faible intérêt. Au contraire, plutôt que de courir après des affaires faciles à saisir avec un nombre maximal de prospects, concentrez vos équipes de vente sur la sélection active d’opportunités qualifiées qui correspondent à des solutions à forte valeur ajoutée. Ou des petites affaires mais sur de nouveaux clients à fort potentiel.

En temps de crise, les cartes sont rebattues, les changements de fournisseur possibles. Soyez pro actifs, choisissez vos clients de demain. Éliminez l’activité pour l’activité, mais triez, sélectionnez, segmentez. 

Alléger, annuler, simplifier le reporting quantitatif 

La peur se manifeste également par des exigences supplémentaires et parfois excessives en matière de reporting. Si les dirigeants demandent en permanence plus d’informations sur ce qui se passe, leur vrai objectif est simplement de se rassurer. En matière de management commercial, ce contrôle est illusoire et souvent contre-productif. La mise en place d’une nouvelle série de mesures pour suivre ce qui se passe ou l’augmentation de la fréquence des rapports de prévision des ventes a souvent pour effet secondaire la paralysie des activités réellement génératrices de revenus.

 Trop d’énergie est consacrée à la collecte des données, leur vérification et correction, ce qui laisse moins de temps et d’énergie pour le travail de vente. Il faut chercher à améliorer l’efficacité des ventes et non pas chercher à améliorer le contrôle et l’inspection des ventes.  Vous devez au contraire élever votre niveau d’exigence sur la façon de conduire efficacement l’acte de vente.

Vos commerciaux ont-ils vraiment une bonne connaissance et compréhension des clients qu’ils ciblent ? Ou restent-ils dans une approche générique et transactionnelle avec peu de compréhension du client ? Maîtrisent-ils leur proposition de valeur et comment l’argumenter en fonction des décideurs ? Sont-ils agiles face au changement de contexte sur leurs nouvelles cibles de clients ou d’offres, ont-ils intégré les nouvelles façons de présenter vos offres en temps de crise ? …

Main manipulant des cubes constituant un réseau de personnes Crédit photo © DR

Pour cela quelques indicateurs avancés vous permettront d’aller loin, tels que : les nouvelles opportunités sur les cibles appropriées à chaque étape, la valeur des opportunités et leur progression à l’étape suivante. Là aussi inutile de regarder cela trop fréquemment soyez réalistes. Tout ce que vous imposerez en plus rajoutera du temps administratif non productif à vos commerciaux.

Au moment où ils viennent de gagner 15% de leur temps de travail en n’ayant plus à se déplacer pour voir les clients, ne leur « spoilez » pas ce temps avec plus d’administratif. Mais soyez exigeants sur les sauts qualitatifs qu’ils doivent faire. Tout esprit procédurier ralentit l’organisation qui perd son agilité et son orientation résultat en des tâches inutiles plutôt que de coacher et faire grandir les équipes à un moment clé où les affaires vont devenir plus rares et « bagarrées ».  Le fait que vos commerciaux soient meilleurs que ceux de vos concurrents se verra plus dans les résultats en temps de crise que quand les affaires rentrent sans trop de difficultés.

Concentrez-vous sur les premières étapes du pipeline plutôt que de vous focaliser sur les ultimes négociations

Là aussi les managers et les dirigeants, soucieux de leurs revenus se concentrent naturellement sur les dernières étapes du process, ce qu’on appelle « la proximité de l’argent ». Après tout, lorsque vous luttez pour votre survie, il parait logique de faire tout votre possible pour faire tomber les affaires. Malheureusement, se concentrer sur les dernières étapes du cycle de vente, où une décision est déjà imminente, n’est pas le plus malin. Tout d’abord, cela a rarement un impact significatif sur vos résultats puisque les discussions préalables sans vous ont déjà orienté l’essentiel de la négociation finale : les produits, les conditions importantes et les prix sont déjà en partie figés. Une exception ici ou là peut aider à finaliser un accord, mais il est souvent trop tard pour apporter des changements de véritable valeur. Au pire même, le dirigeant qui cherchera à montrer son autorité lâchera peut-être quelques efforts supplémentaires inutiles en marge. En outre, les réactions de certains clients peuvent aussi être négatives, certains interprétant cela comme une pression malvenue sur eux.
 
Le fait de se concentrer de manière irréfléchie sur les affaires en phase de closing se traduit (encore pire) par des opportunités manquées au cours des premières étapes du processus de vente.  Or c’est là que vous avez le plus grand potentiel pour renforcer les affaires et minimiser les effets d’une récession. Au cours des premières étapes, des besoins supplémentaires peuvent être mieux identifiés, des enjeux clients mieux compris par votre expérience. En outre, le fait de faire comprendre en amont les concepts de vos solutions aux décideurs appropriés peut aussi accélérer le cycle de vente. C’est le début du processus de vente qui vous permet de créer de la valeur et de vous démarquer de la concurrence, ce qui facilitera en plus les négociations finales. Les dirigeants doivent se concentrer sur le démarrage des opportunités, où ils peuvent faire une différence dans tous les domaines, de la stratégie de compte à l’allocation des ressources et aux relations avec les clients au niveau de la direction.
 
Il est normal que les managers ressentent de l’anxiété quant aux résultats court terme, surtout en période de crise comme celle que nous traversons tous actuellement dont tout laisse à penser qu’elle va durer. Mais plutôt que d’adopter une approche fondée sur la peur, pariez sur la qualité. Investissez votre temps, vos ressources de façon ciblée sur les clients et prospects de choix, participez activement aux discussions prometteuses en amont  plutôt qu’aux marchandages, employez-vous à faire grandir vos équipes dans leur niveau de discours plutôt qu’à les contrôler.   Et cela est un moteur puissant pour transformer vos approches commerciales, y compris quand la crise sera finie.


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